Santé mentale et supervision – Contribution de Martine Carpentier au Colloque PSF 2022

Martine Carpentier, psychiatre, psychanalyste et superviseur, a participé à la table-ronde du colloque PSF 2022, aux côtés d’Anne-Laure Nouvion et de Thierry Cormier.  Elle partage avec nous ici sa pensée et sa pratique sur le sujet de la supervision et la nécessité de celle-ci pour tout professionnel de l’accompagnement. 

 

« Je me présente : Je m’appelle Martine Carpentier, je suis psychiatre, psychanalyste et superviseuse. J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années dans un CMP parisien rattaché à l’hôpital de Maison Blanche. En tant que praticienne hospitalière, j’ai toujours pris l’habitude d’avoir des stagiaires avec moi lors de mes consultations publiques. C’est une tradition à l’hôpital. J’ai dirigé pendant 35 ans un centre pour toxicomanes devenu un CSAPA rattaché à l’Hôpital André Mignot de Versailles. J’ai pris ma retraite hospitalière en 2015 et je suis devenue directrice médicale d’un CMPP de l’Association Olga SPITZER. Parallèlement à tout cela, j’ai rencontré le Dr. Nasio qui est devenu mon superviseur en 1984 après dix ans d’analyse. Au sein de l’Association des Séminaires Psychanalytiques de Paris fondée en 86, dont le but est de former des professionnels de la santé mentale, j’ai animé des groupes de lecture de textes analytiques, des groupes de supervision de la pratique auprès d’éducateurs, de psychologues et d’enseignants, puis des groupes sur la Fonction de direction que je coanime depuis plus de vingt ans. J’ai aussi été superviseuse d’équipes au sein de l’Association des Paralysés de France. Et depuis 86, j’exerce en cabinet privé où je reçois des patients en psychanalyse et des psychologues en supervision.

 

Ces expériences multiples m’ont appris énormément.

Ce que j’apprenais dans un secteur, m’était utile dans les autres lieux. Ma formation psychanalytique m’a permis peu à peu, grâce à l’expérience chevronnée et aiguisée de mon superviseur, mais aussi à son regard prudent et confiant, de prendre en charge des patients dans des cadres très différents et progressivement de m’initier à la supervision presque sans m’en rendre compte. L’expérience aidant, tant dans les cures analytiques avec mes patients que dans ma supervision et dans l’expérience d’animation de groupes, je devins peu à peu prête à accepter un poste de superviseur à l’Association des Paralysés de France. Cette expérience de superviseuse, je n’ai pu l’acquérir que parce que j’avais un superviseur en qui j’avais entièrement confiance et qui représentait pour moi comme un filet de protection au sens acrobatique du terme, au cas où je ferais une erreur d’appréciation sur les difficultés que j’ai immanquablement rencontrées. Il n’existe pas de supervision sans difficultés. C’est l’expérience et notre propre supervision qui nous permet de mieux les appréhender et d’en reconnaître petit à petit les prémices avant qu’elles n’apparaissent. Mais, surtout, j’avais cette drôle d’impression que je n’étais pas seule à superviser, mais que nous étions un tandem, lui, dans son fauteuil, et moi au sein d’une équipe qui ne me faisait pas confiance aveuglément et qui pensait pourtant que j’étais seule à conduire leur supervision.

 

Occuper un poste de psychanalyste ou de psychothérapeute, c’est introduire un tiers dans les relations de notre patient avec son entourage. Occuper un poste de superviseur, quelle que soit la technique employée, c’est introduire un tiers dans la relation soignant-soigné. La relation duelle est souvent l’occasion de rivalités, de conflits, de résistances dont l’origine est pulsionnelle, corporelle et souvent inconsciente. En introduisant un tiers, on ouvre sur une circulation en triangle ou en cercle où la pulsion circule autrement et cette ouverture permet parfois de dénouer ce qui pouvait faire conflit. Cette triangulation permet aussi d’accéder au symbolique.

 

Pour démarrer une supervision, vous le savez, il faut déjà, comme pour toute thérapie, poser un cadre que nous serons vigilant à respecter et à faire respecter par le supervisé et par son patient.

C’est vrai en groupe, c’est vrai en individuel. En psychanalyse, il y a aussi un élément important, qui est le transfert. S’il n’y a pas de transfert entre les protagonistes, il n’y a pas de psychanalyse possible, s’il n’y a pas de transfert, il n’y a pas de supervision possible. Le lien analytique est un lien fort, affectif, plus émotionnel qu’intellectuel, destiné à réduire la souffrance du patient. Ce lien fort, transférentiel doit être respecté dans toute supervision. Si bien que toute demande de supervision n’est pas forcément possible ou même souhaitable. Il m’est arrivé d’interroger une jeune psychologue qui me demandait si je pouvais la prendre en supervision, je lui ai demandé si elle était en psychanalyse. Elle me répondit qu’elle avait arrêté depuis un moment mais qu’elle venait de reprendre contact avec sa psychanalyste. Je lui ai demandé si elle avait parlé de sa démarche auprès de moi à sa psychanalyste. Elle me dit que non. Je lui ai demandé de lui en parler et de voir avec elle si elle était d’accord pour que nous démarrions cette supervision. Cette précaution essentielle est une façon de respecter le transfert et d’éviter tout conflit entre deux psychanalystes dont le supervisé pourrait faire les frais si cela était.

 

Autre point important nous dit le docteur Nasio :

« la supervision qui s’adresse à tout professionnel de la santé mentale est nécessaire quelle que soit la technique employée, quelle que soit l’école à laquelle le supervisé appartient. La supervision contribue à assouplir l’inconscient du jeune praticien. »

 

Le titre de cette table ronde est « Santé mentale et supervision ».

Si je reprends ce terme de « Santé mentale », je pourrai dire que le superviseur, comme le thérapeute avec son patient, est vigilant à respecter ou à favoriser la santé mentale de son supervisé, du patient du supervisé, mais la santé mentale du superviseur est une condition sine qua none pour pouvoir prendre en charge le supervisé. Cette santé mentale, le superviseur doit aller l’interroger ailleurs qu’avec son supervisé, notamment dans le cadre de sa propre supervision. J’irai jusqu’à dire que la santé mentale est le but idéal de toute psychanalyse et de toute supervision. Pour cela, le thérapeute, comme le superviseur doit être très bien formé dans la technique qui est la sienne et qu’il a appris à penser en allant à des conférences, en échangeant dans des groupes de travail, mais surtout en ayant lui-même appris les effets de la technique en s’y soumettant pendant de longues années avec un collègue rompu à cette discipline, puis en pratiquant auprès de patients et/ou d’équipes tout en étant supervisé régulièrement par un aîné chevronné qui lui transmettra un savoir – faire précieux que le supervisé ne rencontrera nulle part ailleurs. C’est le transfert et l’écoute particulière du superviseur qui lui permettra cela. La supervision est le garant du sérieux de notre travail mais aussi de notre santé mentale et de celle du supervisé.

 

Monsieur Nasio précise dans sa conférence du 12 avril 2016 sur la formation du psychanalyste que « la supervision de sa pratique auprès d’un aîné est fondamentale », indispensable, incontournable. « Elle fait partie des 6 piliers qui sous-tendent l’identité du psychanalyste. L’analyse personnelle, l’exercice quotidien de l’écoute, la supervision, la lecture régulière de textes fondateurs de la psychanalyse, la participation à des groupes de travail, des séminaires et des conférences, et enfin, l’acquisition du sentiment d’appartenance à la communauté psychanalytique. » Sentiment d’appartenance à la communauté, comme vous, vous faites en venant aujourd’hui à ce colloque. Et Monsieur Nasio ajoute, « surtout, il faut que l’analyste engage son inconscient instrumental qui s’affine au fur et à mesure de l’avancée de son expérience. »

 

Mais qu’en est-il de cet inconscient instrumental ?

Lorsque je suis en supervision avec une psychologue qui me parle de ses patients, celle-ci va me poser des questions sur le cadre et son maintien, une question technique, faut-il allonger son patient, comment proposer le divan, à quel moment, mais cela peut être aussi une question clinique, en me racontant le suivi de ce patient, comment elle le perçoit, comment lui faire entendre qu’elle n’est pas d’accord avec ce qu’il lui dit, faut-il lui demander de payer la séance à laquelle il n’est pas venu alors qu’il était malade ou qu’il a été à l’enterrement d’une personne proche, toutes ces questions sont importantes. Mais l’action du psychanalyste se passe ailleurs.

 

Ma formation de psychiatre me permet de reconnaître les stigmates de la psychose chez mon patient, chez mon supervisé, comme chez le patient de mon supervisé. Monsieur Nasio a l’habitude de dire que pour être un bon psychanalyste, un bon psychologue ou un bon superviseur, il faut aller faire un stage à l’hôpital psychiatrique. Etudier les maladies mentales dans un manuel de psychiatrie ne suffit pas, il faut s’être confronté au patient psychotique et aux effets que ce patient a sur vous. Les patients psychotiques ont une grande sensibilité, une grande perception inconsciente qui leur rend possible l’accès à l’inconscient de l’autre, de façon inconsciente. Ils sont capables de percevoir vos conflits inconscients et d’en dire quelque chose sans savoir qu’il s’agit de vos conflits inconscients. La psychose peut avoir des effets sur le thérapeute. Ce sont ces effets-là qui vont être perçus par le superviseur et qui devront être travaillés.

 

Pour mieux comprendre ce qui se passe au cœur d’une séance de supervision individuelle, il faudrait que nous nous interrogions sur la particularité de l’écoute psychanalytique ? De quelle écoute s’agit-il ? Monsieur Nasio définit l’écoute psychanalytique en considérant « qu’un psychanalyste ne soigne pas avec ce qu’il dit, avec ce qu’il fait, ni même avec ce qu’il sait, il soigne avec ce qu’il est, avec ce qu’il est inconsciemment. L’outil le plus précieux et le plus efficace, c’est, indéniablement, son propre inconscient. Non pas son inconscient personnel, mais son inconscient professionnel. C’est ce qu’il a nommé l’inconscient instrumental du psychanalyste. C’est en captant l’inconscient de son patient avec son propre inconscient que l’analyste a une chance de saisir les causes inconscientes des conflits douloureux qui envahissent la vie de son patient, de lui en faire part et contribuer ainsi au processus de guérison. Quand un psychanalyste écoute en étant tout entier pris par l’émotion de son patient, le psychanalyste capte l’inconscient de son analysant à l’aide de son propre inconscient capteur, de son inconscient instrumental. Cette captation est le plus souvent suivie d’une parole décisive que le praticien adresse à son patient. C’est une interprétation qui n’aura de valeur que si elle génère une amélioration notable de l’état de son analysant.

 
Il présente le processus de l’écoute en 5 phases que je resitue très brièvement :
  • l’observation,
  • la compréhension,
  • l’écoute proprement dite avec ce que Monsieur Nasio nomme « le silence en soi »,
  • qui permet l’identification à l’émotion inconsciente du patient où l’analyste ressent l’émotion que le patient ne ressent pas mais qui est perçue par l’analyste,
  • et enfin la dernière phase est l’interprétation transmise au patient avec tact et mesure.

 

Pour Monsieur Nasio, il y a 4 types d’interprétation.
  • Il y a la « rectification subjective à la fin du premier entretien qui permet de nouer le transfert,
  • l’interprétation narrative,
  • la prosopopée psychanalytique 
  • l’interprétation gestuelle. »

 

Pour que ce processus de l’écoute s’engage, il faut avant tout que l’analyste accepte d’entrer dans le monde intérieur du patient, de le connaître de l’intérieur, tel qu’il s’ignore lui-même, et cela, en toute innocence.

 

En reprenant les propos de Monsieur Nasio, nous pourrions dire que le travail analytique de l’analysant, de l’analyste et du superviseur, au fil des années, « façonne et sensibilise l’inconscient», je veux dire l’inconscient de chacun.

 

Mais nous pourrions dire également qu’une « analyse personnelle est pour un praticien qui n’est pas analyste ou qui ne veut pas l’être, un excellent exercice d’assouplissement de ce muscle mental qui nous permet d’apprendre à rentrer en nous-même, nous concentrer et écouter à l’intérieur de nous la souffrance de celui qui nous parle, la lui traduire en mot justes et au moment opportun. »

 

Comment opère un psychanalyste ou un superviseur ? « Il n’opère pas seulement avec la parole, mais avec l’émotion » inconsciente perçue provenant de son patient ou du patient qui a été perçue inconsciemment par le supervisé.

 

« Au-delà de l’analyse de supervision et de la transmission explicite d’un savoir clinique, technique et théorique, – nous dit Monsieur Nasio -, la supervision est à proprement parler une initiation à travers laquelle un psychanalyste expérimenté transmet implicitement à un autre moins expérimenté, cinq idéaux constitutifs du moi de l’analyste. »

 

Il transmet implicitement au supervisé :

  • Sa manière de vivre son identité d’analyste, c’est-à-dire son enthousiasme et sa fierté ;
  • Sa manière de vivre la relation avec ses patients, c’est-à-dire sa disponibilité ;
  • Sa manière de vivre la relation avec ses maîtres, morts ou vivants, c’est-à-dire son humilité ;
  • Sa manière de vivre la relation avec les idées et les concepts, c’est-à-dire sa rigueur de pensée ainsi que l’inventivité, la créativité qui peut en surgir ;
  • Et enfin, l’idéal le plus important et le plus difficile à transmettre pour un superviseur est sa manière à lui de vivre la relation qu’il a avec son propre inconscient instrumental, c’est- à-dire l’art de s’en servir, mais aussi la condition nécessaire pour pouvoir accomplir cet exercice : la stabilité de sa vie

 

Lors de l’écoute, je mets en sourdine ma vie intime et plonge dans l’inconscient de l’autre en étant libérée de toute préoccupation quotidienne. Notre concentration analytique est largement facilitée lorsque nous avons une vie relativement stable. Nous pouvons alors écarter de notre esprit nos préoccupations quotidiennes et focaliser toute notre attention sur l’inconscient du patient. C’est au prix de cette dissociation psychique que nous réussirons à opérer une écoute efficace.

 

Existe-il une différence dans la façon de travailler entre un psychanalyste et un superviseur ?

Monsieur Nasio répond qu’en effet, il y a une différence dans le sens où le superviseur se focalise, non pas sur l’inconscient du supervisé mais sur l’inconscient du patient suivi par le supervisé bien que parfois, il arrive que l’intervention du superviseur touche latéralement l’inconscient personnel du supervisé en ayant, sans l’avoir voulu, un effet interprétatif pour le supervisé. Le superviseur se cantonne à interpréter l’inconscient d’un patient qu’il n’a jamais vu, dans le but de favoriser la cure de ce patient, mais aussi d’influencer et de modeler l’inconscient instrumental du supervisé.

 

Exemple clinique d’une forme d’intervention clinique spontanée, ponctuelle que mon expérience de superviseuse me permet. Cela se passe au CMPP, en fin d’après-midi.

Je sors du dernier entretien de la journée avec une famille dans mon bureau et j’entends les cris d’une petite fille de 6-7 ans qui est accompagnée de sa psychomotricienne. Elles viennent de terminer leur séance de psychomotricité et comme à chaque fois, dès que la collègue parle en fin de séance de retrouver sa maman, la petite fille se met à pleurer, crier, refusant de remettre ses chaussures et de partir. La maman attend dans le couloir qu’elle veuille bien se calmer et partir. Je me montre et commente dans le couloir la grosse colère, le chagrin qui est le sien. La petite fille me regarde et baisse d’un ton. Je m’aperçois que ce n’est pas un chagrin mais une colère, une énorme colère. Je parle à haute voix en commentant à la secrétaire que si elle ne veut pas partir, elle va rester seule dans un CMPP obscure, fermé où tout le monde sera parti. Je propose à la psychomotricienne de partir du champ de vision de cette petite fille qui se retrouve seule dans la salle d’attente à envoyer balader les petites chaises pour enfant. Je propose également à la mère de sortir du CMPP et d’attendre sa fille dehors. Et sans m’intéresser à la petite fille, je range soigneusement ses chaussures à l’intérieur de la salle d’attente alors qu’elle les avait jetées dans le couloir et je vais fermer les placards de mon bureau à grand fracas, fermer les volets, prendre mes affaires. Lorsque je sors de mon bureau, la petite fille s’était calmée, avait mis ses chaussures. La secrétaire a fait signe à la maman qu’elle pouvait rentrer. La petite fille l’a suivie sans rien dire et a pu partir en silence. Cette façon de faire tiers, est une façon de calmer une excitation entre cette petite fille et la psychomotricienne mais surtout entre la petite fille et sa maman. Je ne connais pas l’histoire de cette petite fille ni celle de sa maman. C’est la perception de sa rage qui m’a fait penser qu’il fallait qu’elle reste toute seule pour se calmer, sans excitation corporelle, visuelle ou auditive, olfactive ou cutanée. Il faudra que nous reprenions plus en détails lors d’une réunion de synthèse, ce qui s’est passé pendant la séance de psychomotricité pour savoir comment la prochaine fois éviter une telle excitation en fin de séance.

 

Mais il n’a pas été nécessaire d’en reparler en réunion, la psychomotricienne m’a informé la semaine suivante qu’elle était venue tout à fait autrement, lui ayant confié qu’elle ne se mettrai plus en colère dorénavant. C’est en effet ce qui s’est passé. La psychomotricienne peut lui dire que la séance est terminée, la petite fille range ses affaires et va rejoindre sa mère dans la salle d’attente calmement et sans difficulté.

 

Paris, le 12 mai 2022
Martine Carpentier

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