Coaching interne et supervision… interne ?

Le coaching interne, à l’image du coaching d’une manière générale en France, se développe. Et tout laisse à penser que la supervision des coachs internes est aussi en progression. Superviseur de plusieurs coachs internes et animateur de groupes d’échanges de pratiques, dont certains au sein de la Fonction Publique, je partage ici mon regard. Ce témoignage vise à apporter une contribution à la compréhension du monde du coaching et de la supervision de coachs, en rapide évolution.


Nous verrons ce qui se passe du côté du coaching interne, avant de s’interroger sur le devenir de la supervision dans les organisations.
Comme un état des lieux Alors que le coaching est apparu en France vers la fin des années 80, les premiers coachs internes ont vu le jour il y a 15 ans environ. Se basant sur des informations collectées auprès de différentes sources (AFAPP1, In-Coach2…) et en extrapolant prudemment, on peut évaluer leur nombre aux alentours de 150 postes actuellement, fonctions publiques et entreprises privées confondues. Il s’agit bien de postes, et de personnes, non d’ETP3, la majorité d’entre eux exerçant à temps partiel. Le coaching n’a pas échappé au mouvement général d’internalisation d’un certain nombre de fonctions support dans les grandes organisations, depuis 20 ou 30 ans – audit, conseil en organisation, accompagnement à la mobilité… On notera toutefois un point qui constitue une différence de taille : alors que le développement de ces métiers s’est fait sous impulsion stratégique dans la plupart des cas, le coaching interne a beaucoup plus souvent été l’objet de démarches ascendantes que descendantes : une personne, parfois deux, pas toujours dans un poste RH, a créé la fonction avec le soutien d’un cadre dirigeant, s’est formé en externe
(éventuellement sur ses deniers personnels) et a commencé à coacher en interne, fort d’un soutien hiérarchique « local » mais sans forcément de mandat officiel. Cela explique que dans plusieurs organisations, la mise en place du coaching interne s’est faite par à-coups, au rythme du turnover des dirigeants sponsors de la démarche.

 
Aujourd’hui encore, si la fonction est institutionnalisée dans certaines grosses structures (fonction publique d’État, SNCF, RATP, EDF, Lafarge, Société Générale, Renault Trucks…), elle est aussi sujette à des amours et désamours alternés dans bien d’autres environnements, publics ou privés. Nombreuses sont les organisations, notamment dans les collectivités territoriales, où les coachs sont tolérés, sans reconnaissance officielle, leur pratique étant connue, parfois suggérée par des hiérarchies pour traiter quelques cas jugés difficiles, mais sans que des moyens adaptés soient mis à leur disposition (temps dédié, lettre de mission, système d’évaluation, supervision, etc). Souvent, la fonction s’installe officieusement, et parfois même contre l’avis d’une direction des RH
en interrogation vis à vis du coaching interne, voire du coaching en général. Pas rares sont même les coachs internes qui coachent en « sous-marin », leur offre étant connue dans l’organisation, se
diffusant par le bouche-à-oreille, et le coaching de collègues ayant lieu en dehors des horaires de travail, à leur propre domicile, de façon non (ou faiblement) rémunérée, à la limite de la légalité,
donc !

 
Être coach interne n’est pas un long fleuve tranquille, comme pourraient le fantasmer parfois leurs pairs en externe ! De fait, le rôle du coach interne reste souvent à définir. Le coaching interne sert-il le développement des compétences ou relève-t-il d’un dispositif d’accompagnement des transformations organisationnelles, culturelles et managériales ? Quels liens peut-il ou doit-il avoir avec la médecine du travail, le service social, les psychologues du travail ?… Quid de son positionnement institutionnel, de son rattachement hiérarchique ? Sa valeur ajoutée spécifique est souvent plébiscitée par les managers en interne, à défaut d’être toujours reconnue à un niveau stratégique.
Alors que les dirigeants sont ou ont été parfois coachés (en externe), ils peuvent résister à envisager d’internaliser la fonction et d’en faire bénéficier leurs collaborateurs. Les managers coachés, et les coachs eux-mêmes, ne sont-ils pas des ferments d’esprit critique et des leviers de développement de l’autonomie ?!

 
Le cas de cette entreprise dont le comité de direction s’est intégralement formé au coaching n’est sans doute pas suffisamment connu. Son chiffre d’affaire a pourtant progressé de 30% en deux
ans et le turnover a chuté d’un tiers sur la même période ! Un coach interne, parce que je le vaux bien Tous ces éléments attestent du manque de maturité d’un certain nombre d’organisations en regard
d’une évolution pourtant inéluctable. Beaucoup de coachs internes sont des pionniers dans leur propre structure et, forts de leurs convictions, s’installent comme auto-entrepreneur et / ou pratiquent en parallèle à une autre fonction salariée, opérationnelle ou managériale, en dehors ou en aménagement avec leurs horaires de travail.
À une autre échelle, la profession s’organise. Après In-Coach en 2007, d’autres réseaux se sont constitués ou sont en cours de mise en place, à un niveau national (Fonction Publique) et à une échelle locale. Depuis 3 ans existent les Rencontres territoriales du coaching interne4; à l’automne 2014, l’AFAPP a organisé également un colloque dédié au coaching interne ; livres5et études se multiplient, qui tentent de cerner les spécificités du coaching interne par rapport au coaching externe, ses avantages et ses inconvénients notamment.

 
Pourtant, ces développements semblent se faire majoritairement de manière distincte des démarches menées par la profession en externe. Une minorité de coachs internes adhérent à une fédération, et beaucoup hésitent à se rapprocher des associations professionnelles nationales et internationales, dans lesquelles ils ne se retrouveraient pas. Il est un peu tôt sans doute pour s’en
alerter, mais il ne serait bon pour personne que la distance qui semble exister entre coachs internes et coachs externes continue à se creuser. Aujourd’hui, seuls des coachs externes sont sollicités pour accompagner les dirigeants. C’est avec la démocratisation du coaching dans les organisations que sont apparus les coachs internes. S’est donc créée progressivement comme une pratique à deux vitesses entre le coaching des patrons et hauts potentiels d’une part et le coaching des managers de proximité d’autre part. Un phénomène qui serait ressenti parfois dans les organisations – par les coachs internes, voire par leurs clients cibles – comme une forme de discrimination, les coachs les plus performants étant externes, et le coaching interne étant en quelque sorte un coaching par défaut.
Rien ne laisse penser pourtant que les coachs internes soient moins formés que les coachs externes. Ils sont même probablement, et en moyenne, davantage formés – à ancienneté égale – que les coachs externes. Certains ont suivi deux, voire trois cursus complets de formation, pour multiplier leurs référentiels. Course à la légitimité ou bénéfice secondaire d’un statut salarié donnant accès à des budgets formation parfois généreux ? Il ne peut y avoir de réponse qu’au cas par cas, bien sûr. En tout cas, si des différences existent entre le coaching en interne et le coaching externe, ce n’est pas au niveau des compétences qu’elles se situent.

La valeur ajoutée des coachs internes peut être soulignée par les caractéristiques suivantes :
• Une meilleure connaissance de l’environnement, de la culture et une compréhension plus immédiate des enjeux ;
• Une « intériorité » vis à vis du système qui peut rassurer, tant les commanditaires que les bénéficiaires eux-mêmes ;
• Un coût moindre par coaching – de moitié environ6;
• Un message implicite fort de l’organisation quant à sa volonté de se donner les moyens structurels de « mettre l’humain au coeur » ;
• Un accompagnement potentiellement dans la durée, et des passerelles avec la gestion des carrières (délicates mais possibles) ;
• Des synergies avec les autres acteurs du tiers internes
• Une remontée de signaux faibles
• Une simplicité administrative qui contribue à la démocratisation du coaching.

A l’inverse, la valeur ajoutée des coachs externes est à souligner sur d’autres points :
• Une extériorité naturelle, cosubstancielle avec l’une des finalités majeures du coaching ;
• Une indépendance, souvent fragile et relative, mais découlant directement de cette extériorité et de l’absence de lien de subordination ;
• Une plus grande disponibilité (métier à plein temps, par rapport aux coachs internes à temps partiel en tout cas) ;
• Une plus grande diversité des profils et des modes d’intervention ;
• Moins de peurs de la part des clients internes quant à l’instrumentalisation possible du coach (« les intérêts de qui sert-il ? ») et sur la confidentialité ;
• Un moindre risque (ressenti comme tel par les commanditaires) d’avoir au sein de l’organisation des agents du changement incontrôlés, susceptibles de développer un sens critique et de faire contre-pouvoir dans la durée ;
• Un moindre entachement du jugement courant selon lequel le coaching sert surtout à traiter des cas problématiques.
Pour autant, opposer coachs internes et coachs externes n’a pas beaucoup de sens. Ils sont complémentaires bien plus que concurrents. Selon une étude britannique, 78% des organisations
qui recourent au coaching utilisent à la fois du coaching interne et externe, et 15% seulement font appel exclusivement à des coachs externes.

L’ avenir est probablement dans l’articulation entre les coachings interne et externe, et même dans le « mixage » que constituent les prestations en co-intervention, notamment en coaching d’équipes. La plupart des coachs internes y sont favorables, y voyant une source d’enrichissement, tant pour eux-mêmes que pour leur organisation. Cela se comprend aussi de par le fait que peu de coachs internes pratiquent le coaching collectif, la majorité étant formés avant tout – et pratiquant surtout, voire exclusivement – le coaching individuel. Dépassant la vision erronée d’une mise en compétition dommageable, les co-interventions , ou à tout le moins les collaborations internes-externes, tendraient à combiner les valeurs ajoutées des profils tout en en minorant les inconvénients respectifs.
Et la supervision, là-dedans ? Je n’ai rencontré qu’un seul superviseur interne (Éducation Nationale), mais il y en a dans
plusieurs organisations. Je n’ai pu collecter que peu d’information les concernant, si ce n’est – dixit quelques coachs internes – qu’ils sont très bien formés, et compétents. Qu’ils aient été formés
spécifiquement à la supervision ou non, ce sont en général des coachs expérimentés, souvent pionniers dans leur propre environnement professionnel. Il semble qu’ils pratiquent aussi bien la supervision individuelle que collective, à tout le moins sous la forme particulière de l’animation de GEP (ou GAPP)7

Bien que moins souvent adhérents à des fédérations de coachs (notamment parce qu’ils ne sont pas sous la pression du marché), les coachs internes sont tout aussi demandeurs de supervision que les coachs externes. En tout cas, la demande ne cesse de croître, parallèlement à une montée certaine du professionnalisme. Elle est toutefois souvent freinée par l’absence de budget spécifique. De nombreux coachs internes, déjà en mal de positionnement et de reconnaissance, peinent à faire valoir la nécessité d’être supervisés sur leur pratique. En effet, ce qui est culturellement établi pour les métiers de l’accompagnement dans le secteur sanitaire et social, ne
l’est pas encore dans le domaine du coaching professionnel. Bien des coachs internes, ne pouvant se voir financer leur supervision, y ont renoncé – parfois pour des raisons purement pratiques (coût, contrainte de devoir prendre sur leur temps personnel), parfois aussi pour des questions de principe. Il n’est pas rare de voir des cas de compromis, en particulier dans la fonction publique territoriale : on donne au coach la possibilité de bénéficier d’une supervision sur son temps de travail, et éventuellement on le défraie, mais il se la finance sur ses deniers personnels…

Habitués à négocier, à trouver des solutions semi-officielles, à « s’arranger » avec le système, les coachs internes, de plus en plus nombreux, s’organisent entre eux. Ils commencent à échanger des coachings entre structures, compensant ainsi assez largement l’inconvénient de leur manque d’extériorité. ils recourent aussi à de la co-vision, soit de manière inter-individuelle et à distance,
soit en se réunissant en groupes de pairs. Sans remplacer la supervision, ces initiatives se développent, qui répondent à des besoins immédiats, que ce soit pour du traitement de cas ou
pour échanger à propos des difficultés rencontrées dans le déploiement de leur fonction. De fait, encore aujourd’hui, les coachs internes ont tendance à fonctionner de manière endogène : beaucoup se forment entre eux (fonction publique), sont supervisés ensemble et développent des réseaux entre prestataires internes.

Ma conviction est que, si le sens de l’histoire est celui du développement du coaching interne, il est aussi celui de la supervision des coachs internes, mais pas forcément par des internes. Non par l’impossibilité de trouver, ou développer, des compétences au sein des organisations, mais par un besoin bien compris de s’abreuver à d’autres sources, de puiser dans d’autres référentiels, auprès d’acteurs susceptibles de leur offrir une vision plus transversale et plus globale. La supervision est vécue par la majorité de ceux que je côtoie comme un espace de renouvellement, de partage et de décadrage. Certaines équipes de coachs internes font le choix d’être supervisés individuellement par des superviseurs différents, pour s’entre-nourrir ensuite d’approches complémentaires.

D’autres se font superviser en intra, ensemble, faisant appel à un superviseur externe pour, au surplus, consolider une dynamique collective. D’autres encore se retrouvent dans des GEP organisés par l’Inset qui les a formés (superviseur externe, là encore). Ces démarches, qu’elles soient personnelles ou appuyées par l’institution, initiées par un coach interne isolé ou par une équipe de coachs, se développent un peu partout. L’activité de supervision, inter ou intra, ne peut donc que se développer, d’autant que d’autres
créneaux s’ouvrent, connexes, comme la supervision de managers, à distinguer du codéveloppement professionnel ou du mentorat… mais c’est là un autre sujet.

S’il fallait conclure
Je ne crois pas que l’avenir soit à la primauté du coaching interne, même si celui-ci est en plein développement. Le coaching externe aura toujours sa place, complémentairement, et probablement pas que pour le haut encadrement. Je crois davantage à la multiplication des équipes mixtes, internes-externes, voire coachs-autres métiers (social, conseil), constituées comme des équipes projets pour répondre à des besoins globaux d’accompagnement au changement, mêlant cas par cas et dispositifs complexes. En ce qui concerne la supervision des coachs internes, le chemin critique de son développement est plus probablement externe qu’interne (intra ou inter), le besoin de distanciation et d’extériorité primant sur l’avantage que constitue la connaissance des contextes et des cultures.

Mais bien sûr, cette appréciation n’est pas exempte d’un double risque. D ‘abord celui d’étirer une perspective à partir de ce que je connais, alors que beaucoup de choses sont encore en émergence. Par ailleurs cet autre, si délicieusement dangereux, de prendre mes désirs pour la réalité !

AFAPP : Association Française de l’accompagnement Professionnel Personnalisé

In-Coach : Association des coachs internes, créée en 2007
3 ETP : Équivalent temps plein.

Organisées à l’initiative de l’Inset de Montpellier, Institut national spécialisé d’études territoriales (formation des cadres de la fonction publique territoriale).

Le premier ouvrage paru à notre connaissance est « Le coaching en interne », d’Annick Richet, Ed. Demos (2005).

Évaluation complexe, prenant en compte de multiples paramètres, variables selon les organisations, et dont je ne donnerai pas le détail ici.

GEP : Groupe d’échange de pratiques – GAPP : Groupe d’analyse des pratiques professionnelles.

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