Contribution de Christian Gatard – Colloque PSF 2019

Prospectiviste, sociologue, entrepreneur culturel, romancier, essayiste, auteur de Chroniques de l’intimité connectée, aux Éditions Kawa,  en 2016,de Mythologies du futur en  2014, et Nos 20 Prochaines Années, Le futur décrypté en 2009 , aux Éditions de L’Archipel, ainsi que d’une dizaine d’ouvrages dont Dictionnaire de la Mort, Hachette 2015 (livre collectif),Les Clés de la Mutation, Chroniques Sociales, 2012 (livre collectif) et Manuel du Social Media Marketing, comprendre les réseaux sociaux, Éditions Groupe Select, 2012 (livre collectif),

Directeur de la collection Géographie du Futur chez L’Archipel.

Fondateur de christiangatard&co, Institut d’études qualitatives internationales,

Associé du COMPTOIR PROSPECTIVISTE, agence conseil en Prospective

Co-animateur du site FUTURHEBDO.fr

 

De quoi la prospective est-elle le nom ?

Posons d’abord le décor.

De quoi l’avenir est-il le nom ?

D’un côté une vision dystopique : on va dans le mur ! Nombreux sont les oiseaux de mauvais augure qui annoncent l’apocalypse. Ils font la fortune des médias, les grands titres des journaux. Ils prennent un malin plaisir à nous annoncer les pires calamités.

De l’autre une vision utopique : on va s’en sortir très bien ! Ils sont plus rares ceux qui gardent un espoir et estiment que l’humanité a les moyens de s’en sortir.

Pas de panique ! Nous sommes en train de muer, comme nous l’avons fait régulièrement depuis que le monde existe… Le discours apocalyptique du désastre n’est pas seulement énervant. Il est faux. Nous ne vivons pas un désastre mais une mutation.

Quelques pistes d’inspiration

Les ondes de chocs qui nous attendent : les 5 à 20 ans qui viennent seront sous l’influence de grands courants (successifs mais qui s’interpénètrent et dont les signaux faibles sont déjà là).

  • L’ère de la sensationalisation
  • L’ère de l’hybridation
  • L’ère de l’allégeance rebelle

 

  1. L’ère de la sensationalisation

Le premier courant – dont nous voyons dès maintenant les premières et puissantes manifestations – est celui de la sensationalisation. Tout est dit, écrit et publié sur tout dans l’instant et par tous. Chacun s’exprime, annonce, applaudit ou dénonce. Chacun a une opinion et la proclame, chacun (les gens, les états, les entreprises, les contre-pouvoirs…) se dévoile ou dévoile. C’est le triomphe de la transparence où tout doit être crié. Il faut du sensationnel et il faut que l’on éprouve des sensations fortes.

Cette « ère de la transparence sensationnelle» va se prolonger.. Comment allons-nous, en tant qu’individu, citoyen, consommateur, gérer ce bruit assourdissant?

De quoi sera-t-elle le nom dans un monde où la recherche de sensations de plus en plus fortes sera la règle, où la quête de jouissance, de plaisir du corps, de l’accomplissement de soi sera un parcours obligé.

Le monde qui vient sera plus sensuel et sensoriel que jamais. Il exigera un contact physique avec les objets du réel quand le virtuel semble nous en éloigner. On va assister au retour triomphal des cinq sens. Cela passe déjà par le pouce de la Petite Poucette de Michel Serres qui caresse et étreint les écrans de ses appareils. Les « physio-plaisirs » de demain s’emparent de matières et de substances qui jouent sur le contact : l’intensification de l’odorat avec les expériences sensorielles et les signatures olfactives, l’énergie brute toujours plus intense du son des concerts rock dans les oreilles de mon voisin de siège dans le TGV, le binge drinking toujours plus dévastateur chez des adolescents toujours plus jeunes, les recettes de plus en plus absurdes à la manière des riches Romains de la Décadence. Le nouvel hédonisme c’est le contact du corps, le corps à corps avec la matière brute, avec la sensation sauvage. On fixera son attention de plus en plus obstinément sur le moi-peau (pour détourner une idée chère au psychanalyste Didier Anzieu : c’est par ma peau que je suis en contact avec le monde – et j’y tiens, à ma peau, – je la cajole, c’est tout ce dont je suis sûr, elle m’englobe et me protège). Donc avant même de tout savoir sur le cerveau, le cerveau, lui, sait très bien ce qu’il veut et c’est de jouir du monde.

Mais il faut aussi en envisager l’implosion prochaine, l’épuisement. Viendra un moment où le bruit et la fureur vont saturer les gens.

Des valeurs vont être « recyclées » comme l’importance du secret, ou la redécouverte de la tanière. De nouvelles représentations vont être valorisées : le secret de fabrication, le chuchotement, le retour en grâce de l’intime… ou plus probablement de « l’extime » c’est à dire d’un nouveau lien entre soi et le monde, d’une aspiration à découvrir le monde différemment en y cherchant sa place avec sérénité.

  1. L’ère de l’hybridation

Le courant dominant qui va suivre sera celui de l’hybridation.

Dans l’ère de l’hybridation, l’homme regarde vers l’autre, regarde au-dehors, laisse entrer la lumière. Il se rend compte que la maison de verre n’était qu’un leurre, que ses murs n’étaient que le miroir de ses angoisses. Il faut sortir, se confronter au monde.

Le banquet (réel ou symbolique) sera un élément essentiel de l’hybridation de la sociabilité. Il va rythmer la vie des communautés, triompher dans les rues brûlées par le soleil du réchauffement climatique. La fête des voisins peut être considéré comme un signal de plus en plus fort de ce besoin de réconciliation entre soi.

On va aussi connaitre une période de réconciliation entre l’homme et la machine. Ce monde, annoncé aujourd’hui par les transhumanistes, promet un accroissement de l’intelligence, une exploration des limites de l’homme, des vies prolongées, des planètes visitées. Ce sera le début d’une mutation et pas l’annonce d’un désastre : dans l’ère de la sensationalisation, l’homme n’avait de regard que sur lui-même, sombre nombrilisme le plus souvent désabusé. Dans l’ère de l’hybridation on prend des risques vers les autres mais on y va.

  1. L’ère de l’allégeance rebelle

Enfin va émerger ce qu’on peut nommer l’ère de l’allégeance rebelle. Il faut toujours faire allégeance à quelque chose ou quelqu’un. Autrefois les princes faisaient allégeance au roi, les serfs au seigneur du village. Aujourd’hui nous savons qu’il nous faut bien faire allégeance à tel commanditaire, tel client … mais aussi à des forces qui nous dépassent radicalement comme le réchauffement climatique ou le temps qui passe. Mais ce que nous avons appris c’est que nous ne pouvons pas faire table rase du passé.

On va à la fois reconnaître que les forces de l’histoire sont irrésistibles, que les mythes anciens sont les scripts du futur, que l’éternel retour des choses est une réalité … et qu’il faut – car c’est dans la nature de l’homme – les contester. Les idéologies, les religions, les visions du monde à géométrie variable vont se succéder, se confronter – négocier peut-être une paix des braves… mais au cœur de ces mondes vibrants, poreux, en chambardement constant quelques idées vont émerger qui raconteront l’histoire du monde, qui seront les contes populaires de demain et de toujours, des contes pour grandes personnes, des mythes modernes….

Et celui qui sera le mieux à même de prendre en compte cette nouvelle donne, c’est l’artiste du futur qui sera polyindustriel. Face aux fractures de plus en plus béantes et à la barbarie que les médias mettent en scène, il devra créer des sutures qui seront des sources d’inspirations pour la fiction, pour le commerce, pour le vivre-ensemble…

Une nouvelle génération hybride de savants et d’artistes est en train de s’emparer des secrets de l’univers. Ils sont inspirés par leur maîtrise de la technologie, ils sont sensibles aux nouvelles formes de spiritualité, ils explorent la matière calculée avec un regard émerveillé. Ils intègrent la complexité du monde et métissent leurs savoirs et leurs intelligences. Ils nous laissent parfois (voire souvent) un peu béats devant leur virtuosité. Qui comprend vraiment la mécanique quantique ? Qui comprend ce qui se découvre dans le cerveau ? Ils se donnent comme objectif une double promesse. Le contact avec les secrets de l’univers, d’une part, l’infiniment grand, le cosmos. Le contact, d’autre part, avec ceux de l’infiniment petit, le nanomonde, l’échelle atomique et moléculaire. Voilà deux scripts prometteurs en émotions, en sensations, en sidérations. Le 21ème siècle ne va pas cesser de nous étonner : l’attente, la recherche et l’avènement de ces deux jonctions avec des univers inconnus vont bouleverser notre compréhension du monde ou à tout le moins notre regard sur lui : l’infiniment grand et l’infiniment petit, c’est une aventure aux confins du savoir, de la technologie et de la philosophie.

Des futurologues avisés estiment qu’en cas de premier contact avec une civilisation extraterrestre les porte-paroles de l’humanité toute entière devront être les artistes et les philosophes bien avant les militaires et les politiques.

Août 2019

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